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mercredi 3 avril 2024

(Co, Hu) Interrog

Il ne disait rien. Seule sa respiration sifflante rythmait son silence. Il ne disait rien, et ses mains aussi étaient immobiles. Tenant sa pipe entre l’index et le pouce, il regardait sans les voir les grains brunâtres qui finissaient doucement de rôtir dans le fourneau, laissant échapper une dernière fumée de grisaille, cris silencieux et timides d’agonie.

Ses lunettes à peine embuées semblaient terriblement opaques. Ses cheveux déjà gris tentaient en vain d’en recouvrir les branches. Ses cils battaient rapidement, parfois rehaussés d’un infime rapprochement des sourcils broussailleux - et encore noirs cependant.

Nul souci dans son regard. Juste peut-être ce brin de lassitude résignée, signe d’un repli intérieur que je devinais. Nul désespoir, nulle panique, nulle colère ne marquaient ses rides déjà profondes. Un peu de tristesse, peut-être.

Le gris de sa barbe d’un jour rendait la peau un rien plus blême, et ses vêtements à peine surannés n’osaient même plus rêver de fantaisie. Le visage un peu trop sec disait ses patientes attentes et ses désirs inavoués.

Soudain, ses lèvres un peu molles tremblèrent, mais aucun son n’en sortit. Aucun désarroi pourtant, juste un grain de fatalisme. 

La peau du cou tombait, oh, très peu. Détendue par les années passées à écouter, à écouter encore, à écouter malgré tout. Ses ongles étaient presque trop longs, tirant sur le jaune. L’un d’eux grattait nonchalamment la bruyère fanée de son biberon de nourrisson émérite.

À travers l’âcre odeur poussiéreuse de son mauvais tabac hollandais, son haleine essoufflée exhalait les restes de son repas. Son corps usé, ses os, ses souliers sentaient le vieux, l’absinthe et le soupir. Comme pour se préparer à la mort. Comme pour s’exercer à empester le cadavre qu’il deviendrait, un jour lointain où la fatigue l’aurait entièrement vaincu. Je le voyais déjà glisser sur la pente descendante de la colline, sur le versant où l’on ne remonte plus.

Une horloge aigrelette sonna un coup sec juste à côté. Il fit le même mouvement que moi, ce coup-d’oeil furtif et inutile au poignet gauche qui était presque un reproche adressé à ce bourreau de la vie quotidienne qui nous accompagne inéluctablement jusqu’à notre dernier soupir.

À grand-peine, il ouvrit la bouche un peu plus. Il avala sa salive comme une grosse boule au fond de sa gorge, émit un léger claquement involontaire de la langue contre son palais et se décida enfin à articuler: «Alors, Monsieur Corbaz, vous ne m’avez toujours pas répondu?!» de son ton professoral et définitif. 

J’étais perplexe depuis plus d’une minute.


Jean-Jacques Corbaz, le 26 février 1974       


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