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mardi 28 novembre 2023

(Co) Saarsi, fils de mage - conte de Noël

Il y a très très longtemps, dans un pays d’Orient, vivait un jeune garçon qui s’appelait Saarsi. Saarsi avait souvent la tête dans les nuages - ce qui n’était pas étonnant, à cause du métier de son papa. Le papa de Saarsi était mage.

Comment? Vous ne savez pas ce que c’est comme travail, d’être mage? Eh bien, un mage passe tout son temps à regarder le ciel. Il observe les étoiles, comment elles se déplacent, quels dessins elles forment entre elles. Et puis, il écrit dans de gros cahiers, pour se rappeler ce qu’il a vu. Il calcule, c’est très compliqué, pour savoir à quelle vitesse les étoiles bougent, dans le ciel…

Un jour, le papa de Saarsi rentre du travail tout excité. «Elle est arrivée!» dit-il gaiement. 

«Elle est arrivée?» demande la maman de Saarsi. «Mais qui est arrivée? La nouvelle voisine?»

«Mais non, l’étoile du Roi, voyons!» dit le mage. «L’étoile que j’attendais depuis si longtemps! Celle qui annonce un personnage plus grand que tous les autres rois!»

À force de contempler le ciel, le papa de Saarsi était parfois dans la lune! Oh, pas pour son travail, mais plutôt pour sa famille. Il oubliait souvent que sa femme n’était pas au courant du quart de ses calculs et de ses découvertes! 

Alors, il explique que tous les mages du pays guettent depuis quelques mois une nouvelle étoile, qui doit annoncer qu’un Roi des rois est né.

«Alors, ce personnage fabuleux, ce presque Dieu, c’est un bébé?» demande Saarsi.

«Oui mon garçon. Un tout petit bébé!» fait le mage. «Demain je pars. Pour aller le voir!»

«Oh, papa! supplie Saarsi. Je peux aller avec toi? J’aimerais tellement voir ce petit roi, moi aussi.»

«Non Saarsi, dit la maman. Tu es trop jeune encore. Tu n’as que 10 ans. Le voyage est trop dangereux, trop long, trop pénible, trop cecicela»…

Je ne sais pas si vous êtes comme Saarsi? Quand il y a trop de «trop», il n’écoute plus. Alors, il va se coucher, en rêvant d’un beau voyage à dos de chameau; sur les routes d’Orient. Mais aussi, il cherche dans sa petite tête comment il pourrait convaincre ses parents de le laisser partir.

 


Le lendemain, Saarsi se réveille, les yeux brillants. Il a bien dormi, et sa décision est prise: il partira… en cachette! Il ne sait pas encore exactement comment, mais il montrera à ses parents qu’il est assez grand, assez fort, assez débrouillard; assez tout ce qu’il faudra!

Dehors, son père est prêt. Juste le temps de s’embrasser, et le mage s’en va, au pas souple et balancé de son chameau, chargé de provisions et de cadeaux pour le roi nouveau.

Saarsi appelle: «Maman, je peux aller chez les voisins, jouer avec leur chat?». «Bien sûr, mon chéri, tâche de rentrer au moins pour midi.»

L’enfant n’hésite pas: sans perdre une seconde, il court sur le chemin, légèrement, joyeusement. Il dépasse la maison des voisins. Au loin, il aperçoit le nuage de poussière que fait son père. «Je le rattraperai quand il s’arrêtera pour manger quelque chose ou pour abreuver le chameau. Il ne pourra pas faire autrement que de m’emmener, si loin de chez nous!»

Mais Saarsi n’avait pas pensé qu’un chameau, ça marche vite, et surtout ça marche longtemps, longtemps, sans devoir s’arrêter pour boire. Et quand le soir tombe, c’est presque la nuit, il ne voit plus la poussière de son papa depuis des heures. Il ne voit plus le chemin, il ne voit plus rien, d’ailleurs. Affamé, assoiffé, il s’assied au bord de la route et se met à pleurer. «Papa, attends-moi, je suis trop petit…»

 


 
Il a dormi un moment. Mais soudain, il est réveillé par un formidable «hihaan!»

Un âne! C’est un âne, juste là-bas, sur le chemin! Il y a quelqu’un! Saarsi se redresse. Il a peur: et si c’était un voleur? Mais après tout, il se dit qu’il n’a rien. Rien du tout! On ne peut donc pas le voler!

Il rassemble tout son courage, et s’avance vers l’homme et l’animal, qui campent à l’abri d’un rocher. Il fait tout à fait nuit maintenant, mais il y a un feu qui éclaire! Et puis, sur le feu, mmmh, ça sent bon, il y a de la soupe qui chauffe, et aussi… de la viande!

Saarsi abandonne toute fierté au moment où il voit le vieil homme qui prépare son repas. «Pardon, M’sieu», mais il ne peut pas continuer. Il se remet à pleurer. À pleurer…

Le voyageur, étonné, étend le bras. Il prend Saarsi tout contre lui, et le serre doucement, comme sa maman quand il se fait mal. «Tu as faim? Tu as soif?» - Pas besoin de lui poser deux fois la question!

Après qu’ils ont bu et mangé, Saarsi raconte son histoire. Le vieil homme réfléchit: faut-il ramener cet enfant chez lui? Ce serait beaucoup de temps perdu. Après tout, ils ne doivent plus être très loin de l’endroit où son père s’est arrêté pour la nuit. Il a déjà tellement marché..  Tant pis! L’âne est fort et robuste, il portera bien l’enfant, en plus de sa charge, jusqu’au village où son père se repose, là-bas devant.

D’ailleurs, cette nuit-là a quelque chose d’étrange. Les étoiles brillent plus fort que d’habitude, et il n’y a aucun nuage. On voit le chemin presque comme si c’était le matin.

Alors, ils repartent, au milieu de la nuit. «Dors sur mon âne», dit le voyageur. Mais Saarsi n’a pas sommeil, tout-à-coup. Il est excité comme hier soir, quand il cherchait comment accompagner son père. «Et vous?» demande-t-il au vieil homme, «d’où venez-vous?»

«Je viens de loin, répond-il, de très loin. Ça s’appelle le Caucase. Je suis parti il y a longtemps…»

«Et où allez-vous? Je suis curieux!»

«Tu sais, fait le voyageur, j’aime les gens curieux. Je vais vendre des épices d’Orient en Egypte.»

Et ils continuent de parler, de se raconter leur vie. Jusqu’à ce que Saarsi, épuisé, s’endorme enfin, toujours porté par l’âne, bercé par son pas tranquille.

 

Quand le jour se lève, ils n’ont toujours pas vu le mage et son chameau. A-t-il pris un autre chemin? Ou bien a-t-il continué d’avancer, guidé lui aussi par la clarté des étoiles? Le vieil homme et l’enfant, un peu inquiets, ont quand même envie de poursuivre leur route.

D’autant plus que là-bas devant, ils entendent un bruit bizarre. Comme s’il y avait une bagarre. Oui! Ce sont des hommes qui frappent une femme et sa petite fille. Mais, en entendant les voyageurs, ils ont peur, et ils s’enfuient à toute vitesse, laissant les deux victimes à leur triste sort.

Mais, elles sont étranges, cette femme et sa fille: elles ont la peau brun foncé, presque noire. Saarsi n’a jamais vu quelqu’un comme ça!

Le vieil homme les soigne et les rassure. Elles expliquent qu’elles viennent d’Afrique, et que les méchants voulaient les vendre comme esclaves.

«Restez avec nous! dit le voyageur du Caucase. Je vous protégerai.»

 


 
Et c’est ainsi que Saarsi a découvert le monde. Leur petit groupe a continué de s’agrandir, chaque fois qu’ils rencontraient des gens en difficulté: deux Chinois, qui avaient perdu leur chemin; un Arabe, malade, que l’âne a transporté jusqu’au prochain médecin; une jeune-fille du désert, dont les parents étaient morts de vieillesse; et même un vieux chien, qui n’avait plus de maître, plus personne à aimer…

Un soir, ils sont arrivés dans un village de Judée appelé Bethléem. Et, devant une vieille maison, Saarsi voit trois chameaux qui attendent. Trois chameaux?? Saarsi repense soudain plus fort à son papa. Car un des chameaux ressemble… mais oui! C’est lui! C’est lui!!

Avec tous ses nouveaux amis, il entre dans la cabane. Sur la paille, dans une espèce de panier, il y a un bébé. Et quelques personnes qui le regardent, l’air émerveillé.

«Papa!!!»

Le mage n’a pas le temps de se retourner, Saarsi est déjà blotti dans ses bras. Après tous ces jours de fatigue et de dangers, quel bien ça fait! 


Plus tard, bien plus tard, Saarsi comprendra que c’est ce bébé le Roi des rois que les mages attendaient. Et qu’il avait fait, ce bébé, à peine né, qu’il avait fait la chose la plus extraordinaire: il avait rassemblé dans l’amitié des gens de tous pays, de toutes couleurs; il avait rapproché les mains blessées d’Arabes, de Juifs, de noirs, de jaunes, de blancs; de riches et de pauvres, de petits et de grands…

Et surtout, il avait conduit Saarsi dans les bras de son papa!

Jean-Jacques Corbaz, 17.12.1994    



 
(On peut faire écouter ensuite la chanson «Enfants de Palestine», tiré de « Noël des enfants du monde »)

Paroles: Jacques Lafont                   Musique: Jean Naty-Boyer

Enfant de Palestine, ou enfant d’Israël

D’Amérique ou de Chine, en ce jour de Noël
Que ton regard se pose, sur la terre ou le ciel
Ne retiens qu’une chose, il faut croire à Noël.

Matin couleur de cendre, ou matin d’arc-en-ciel
Qu’importe il faut attendre en ce soir de Noël
Que les fusils se taisent et répondent à l’appel
De cette parenthèse, qui s’appelle Noël

Refrain
Enfant de Palestine, ou enfant d’Israël
D’Amérique ou de Chine, en ce jour de Noël
Que ton regard se pose, sur la terre ou le ciel
Ne retiens qu’une chose, il faut croire à Noël.

Un jour viendra peut-être, un jour au gout de miel
Ou l’on verra paraitre un oiseau dans le ciel
Aux plumes de lumières un oiseau éternel
Colombe pour la terre, un oiseau de Noël.

Refrain
Enfant de Palestine, ou enfant d’Israël
D’Amérique ou de Chine, en ce jour de Noël
Que ton regard se pose, sur la terre ou le ciel
Ne retiens qu’une chose, il faut croire à Noël.

Ne retiens qu’une chose, il faut croire à Noël.


(Bi, Ci) Voyager gratis!


 
En direct de l’EMS, il est assis là dans son fauteuil devant la fenêtre, qu’il ne quitte plus guère, et il raconte: chaque jour je fais un beau voyage… je choisis ma destination , je prends les moyens de transport que je souhaite, je visite des contrées inconnues, je m’arrête quand je veux, je fais de belles rencontres. Tout se passe toujours bien Parfois je vole, je suis dans les nuages et je vois la mer en dessous. Hier j’étais en Océanie! 
Vous savez, ici on a beaucoup de temps, et je refuse de broyer du noir, alors je voyage. L’imagination c’est précieux.
 
(transmis par Anne-Marie Droz)


lundi 27 novembre 2023

(Co) Felice le berger calabrais - conte de Noël

À six ans, Felice n’était pas allé à l’école comme les petits garçons de son âge. Le papa de Felice était berger, et il fallait partir avec lui dans les collines caillouteuses garder les moutons, la nuit comme le jour, l’hiver comme l’été.

Dans ces montagnes dures de la Calabre, il n’y a jamais beaucoup d’herbe. Le troupeau a très vite tout mangé, et il faut encore aller plus loin.

Felice n’aimait pas beaucoup cette vie de nomade. Il ne comprenait pas pourquoi ses camarades l’enviaient. «Tu as de la chance», lui disaient-ils, «tu n’as pas besoin de venir à l’école. Tu n’as pas de leçons. Tu es dehors toute la journée».

Bien sûr, Felice était dehors toute la journée. Mais il était souvent aussi dehors la nuit, ou sous la pluie, ou quand les loups attaquaient les moutons. À six ans, Felice travaillait déjà comme un petit homme. Il apprenait à traire les brebis, à préparer les repas, il devait courir pour guider le troupeau avec son chien. Une vie très dure.

Surtout que son père n’était pas un homme commode. Energique, exigeant, il voulait faire de Felice un berger semblable à lui, pour la prospérité du troupeau et de la famille. L’enfant avait peur de son père, et lui obéissait en tremblant.

Parfois, pour se distraire, il se fabriquait des sifflets ou des flûtes grossières dans les maigres arbustes qu’ils rencontraient. Mais très vite, le père le reprenait et ordonnait un nouveau travail pour mettre fin à ces «fainéantises», comme il disait.



À 15 ans, Felice était fort et infatigable. Il aurait connu les moutons comme sa poche, s’il avait seulement eu une poche. Mais son père, de plus en plus âpre au gain, ne faisait aucune dépense inutile. Felice se taillait des loques dans les vieux manteaux de ses parents. Maintenant, ses camarades ne l’enviaient plus, au contraire, ce n’étaient que moqueries ou brimades quand il traversait le village.

Felice n’aurait jamais osé enfreindre un ordre du père. Ce dernier avait tous les pouvoirs. Il savait tout. Il était tout. La plus petite incartade lui valait des coups douloureux.

Un soir, Felice était seul avec le troupeau. Les moutons s’endormaient, le chien somnolait, une oreille aux aguets, et le jeune berger cherchait dans sa cape une protection contre le froid de la nuit. On était en décembre, et le vent glacé sifflait entre les pierres.

Felice se surprit à y deviner un air de son enfance, l’un de ceux qu’il modulait en hésitant sur une flûte taillée à la va-vite. Un air qui criait un besoin d’évasion, en même temps qu’une joie immense enfouie au fond de lui, et qui n’avait jamais pu exploser.

Felice sifflotait entre ses dents, au gré du vent. Le chien dresse l’oreille. «C’est moi, mon vieux, t’en fais pas». Le chien se lève. Le tacatac d’un caillou dégringolant la pente. Felice se tait, écoute.

Le chien grogne. Une forme sombre, là-devant, dans le profond de la nuit. Felice empoigne son bâton. «Qui est là?»

«N’ayez pas peur» dit une voix rude. «Je ne vous veux pas de mal». L’homme s’approche, hésitant. Felice est debout.

Il distingue un visage poilu et broussailleux, semblable à celui de son père. Pourquoi semblable? Il ne le voit pas. La voix est sévère, mais se voudrait douce. N’y parvient pas, faute d’habitude.

«J’habite là-haut, à Malacretta». Il respire bruyamment. 

Felice sait. L’homme sait que Felice sait. Ce n’est pas un inconnu, c’est Orfeo, qui se cache des carabinieri. Orfeo, qui a tué un gendarme. Orfeo, qui rançonne les habitants de la région.

«Que me voulez-vous?»

«Tu es seul?» Felice hésite. A peur. «Euh, n…»

«Si tu n’es pas seul, est-ce que tu accepterais de me donner un coup de main?» La voix est encore plus dure, et plus craintive aussi. «Ma femme est en train d’accoucher, et ça ne va pas du tout, il me faut de l’aide, moi je suis seul».

«Euh…» Felice est acculé. Peut pas dire qu’il est seul, a trop peur de se faire voler. Et peut pas refuser la demande d’Orfeo, qui est presque menaçant dans sa détresse. Peut pas monter avec le troupeau, les moutons sont pas des chamois. Peut pas partir, peut pas rester.

«Orf…» Il n’ose pas dire le nom. «Vous savez, je suis seul».

Voilà, c’est lâché, tout peut arriver, il ne sait même plus s’il a peur. Serre son bâton. Plus peur du père que du bandit, pourtant devant lui. 

La forme noire balance, ne dit rien. Puis soudain disparaît dans la nuit.

«Orfeo!» C’est Felice qui crie, et qui se mord pour ne pas crier, et qui crie encore. «Orfeo!»

L’autre est encore là. Ne dit rien.

«Ne partez pas. Je vais avec vous.»

Toujours sans réponse. Est-ce qu’il est là, ou reparti? Dit, comme avec peine «Viens». Et puis un léger souffle, sifflement dans le vent: «Merci». Mais l’a-t-il dit, ou Felice se l’est-il imaginé?

Le sentier est tortueux, ingrat. Comme la terre. On traverse des buissons qui cachent le chemin. Felice n’était jamais venu ici: le domaine de l’Autre. Qui chasse les intrus à coups de fusil.

Une lumière clignote, encore plus haut. La cabane. Disparaît derrière un rocher, reparaît au tournant d’un pan de montagne. «C’est là.»

Ils entrent. L’Autre est devant. Une bougie éclaire pauvrement l’antre du brigand. Et tout de suite la femme, dans la seconde pièce, sur un grabat. Le ventre gonflé, les yeux fermés, les traits tirés comme un arc au bord de la rupture. Ouvre péniblement les yeux. «Orfeo…»

Il parle, soudain beaucoup. «C’est moi. Tu verras, j’ai trouvé quelqu’un. Il ne dira rien. Un berger. Un berger. Il a aidé des centaines de brebis à mettre bas, quand c’était difficile. À deux, on y arrivera, tirer, pousser, te détendre, ça ira. Un berger.» Il répète, comme si ses mots faisaient entrer des forces dans ce corps aimé, haletant, presque brisé. «Un berger…» Il répète.


Ça dure toute la nuit. Tirant, poussant, lâchant, parlant, pleurant. Le bébé est trop mal engagé. Ça dure toute la nuit, souffrant, criant, gueulant, lâchant, pleurant.

À un moment de répit forcé, Felice se surprend à penser: Dieu, si tu es avec nous, que ça marche, qu’il naisse, qu’elle vive. Dieu, ne sois pas injuste! Si tu es Dieu, pardonne à Orfeo!»

Et puis la lutte encore, des heures. Le bébé est gros, il est coincé de partout. Les trois ruissellent, dans la maison froide.

Et puis, vers le matin, ils ont gagné. Un petit garçon tout neuf est là, sur un vieux linge. Le cou un peu tordu, respirant à peine. La mère est horriblement déchirée. Elle s’est évanouie plusieurs fois. À un moment, Felice s’est demandé comment on fait l’extrême-onction. Mais ils vivent, les deux. Faiblement, très mal, mais ils vivent. Felice se sent fier comme s’il était le père.

Son bébé serré entre ses bras, elle demande en grelottant: «Orfeo, quel jour sommes-nous?» Ils n’avaient pas pensé à ça. Réfléchissent très vite. Il répond: «Le 25… le 25 décembre.»

Ils se regardent. Il y a si longtemps qu’ils n’ont pas fêté Noël.

«Comment l’appellerez-vous?» demande le jeune homme.

«Nous voulions lui donner mon nom» dit Orfeo. «Mais sans toi, tout était fichu. Comment t’appelles-tu?»

Felice repense à Noël, Dieu avec nous *. Dieu était avec nous. Il ment, répond: «Emanuele», Emmanuel.

Dieu avec nous. En redescendant vers son troupeau qui se disperse au soleil levant, frissonnant dans le petit jour, Felice ne peut que dire: «Emmanuel, Dieu avec nous». Il rassemble ses bêtes, les compte. Il en manque une. Dieu avec nous. C’était mon cadeau de Noël. le père me battra, mais j’ai fait un cadeau de Noël.

Emmanuel. C’est vrai, on a fête Noël. 



* Esaïe 7, 14
 

Jean-Jacques Corbaz, décembre 1977    






(Po, Bi) Re-création

Re-création

Au commencement, Dieu a créé tout ce qui existe.
Pour créer, Dieu a séparé :
Il a séparé la lumière de l’obscurité,
Il a séparé la terre de l’eau, et l’eau du ciel,
Il a séparé les végétaux des minéraux,
Les animaux des végétaux
Et les humains des animaux.

*

Mais ! tout ce que Dieu a séparé se remélange :
La lumière et la nuit – et ça fait la grisaille,
La terre et l’eau – et ça fait la boue,
L’eau et le ciel – et ça fait la pluie,
Les humains et les bêtes – et ça fait la guerre, et la bêtise,
Les êtres vivants et la terre – et ça fait la mort.

*

À la fin du commencement, ce fut le commencement de la fin.

*

Alors ! Dieu décida de se mélanger à l’homme,
Et à la terre, et à la mort, et à la nuit.
Dieu choisit de se mêler de notre vie,
Ce fut le début du Royaume.

*

- Le début seulement ! Car la suite… elle dépend de nous :
Aujourd’hui
Règnent toujours la bêtise, la violence et la nuit,
Mais puisqu’ici
Dieu est venu, planter sa tente,
Il me remplit d’un autre espoir, d’une lumière,
Comme une attente,
Une soif, une prière,
Qui m’appellent à devenir source, à sourire, à lutter
Pour que renaisse notre humanité.

*

C’est sa tendresse proche qui me fait vivre
Comme les îles au parcours du voilier :
Je ne sais que la suivre
Emerveillé.

Jean-Jacques Corbaz


 


lundi 6 novembre 2023

(Pr, SB, Vu) La Bible est-elle misogyne? - Prédication des 29 octobre et 6 novembre 2023

Lectures: Genèse 2, 18-24; Galates 3, 27-28  (sur ce passage, un autre angle que le mois dernier!), Luc 10, 38-42



La Bible est-elle misogyne? J’imagine que vous avez votre avis sur la question! Bien des gens répondent de manière tranchée, comme si notre livre saint s’exprimait d’une voix unique sur le sujet. Or, comme sur tant d’autres thèmes, il y a dans la Bible une grande variété de positions, avec une infinité de nuances. Depuis la Genèse jusqu’aux lettres du Nouveau Testament (NT), il y a toute une histoire, donc toute une évolution. Une foule de situations différentes où l’on voit des relations entre homme et femme qui varient énormément.

Je vous propose ce matin d’en visiter quelques-unes. Il faudrait bien sûr beaucoup plus qu’une prédication de 15 minutes pour aborder notre sujet de manière satisfaisante. Mais allons-y déjà avec ces incontournables:

1. Première étape: la “femme-entrecôte”! Je veux dire: Eve, tirée de la côte d’Adam. Ce récit imagé nous semble très “macho”. Or il est en réalité plutôt progressiste à l’époque où il apparaît, bien des siècles avant J-C. Jusque là, en effet, le judaïsme ancien pensait que la femme n’avait pas la même origine que l’homme. On croyait qu’elle venait du monde du Mal, qu’elle était impure par nature!

La Genèse, avec cette histoire symbolique, insiste au contraire: la femme est de la même pâte que l’homme. C’est la même chair, il n’y a pas de différence de statut, devant Dieu. Comme l’exprimera plus tard l’apôtre Paul dans la lettre aux Galates, “il n’y a plus de différence entre homme et femme. Tous, vous êtes un en Jésus Christ”.

2. La deuxième étape, toujours dans la Genèse, nous renvoie à la célèbre histoire du fruit défendu (entre parenthèses, Jean Cocteau parlait avec humour du “fruit d’Eve fendu” - c’est superbe!). Selon l’interprétation courante de l’Ancien Testament (AT), c’est donc la femme qui aurait amené l’homme à désobéir.

Pourtant, dans ce récit, l’accent n’est pas mis sur la culpabilité d’Eve en particulier, comme beaucoup le croient. Adam est présenté comme coupable tout autant que sa compagne. Ce qui est souligné, c’est surtout la tendance humaine à accuser quelqu’un d’autre de ses propres manquements. Adam charge Eve, laquelle renvoie la balle au serpent... Nos fautes, souvent, nous entraînent dans un cercle vicieux. On cache une désobéissance par une lâcheté ou un mensonge. N’est-ce pas  souvent notre (peu reluisante) réalité?

Jean Effel: génial!

3. Sautons allègrement à l’autre bout de la Bible pour aborder notre troisième étape: le NT. Quand on lit avec attention les évangiles, puis les épîtres, on se rend compte d’une évolution bien dessinée, c’est très intéressant:

a) D’abord, au temps de Jésus, la femme a peu de place dans la société juive. Les contemporains du Christ interprètent les passages de l’AT dont nous avons parlé sans les replacer dans leur contexte historique. Du coup, on croit que Dieu valorise davantage le sexe masculin.

b) Ce que Jésus dit et fait vient alors en très grand contraste avec son époque. Il affirme que la femme a autant de dignité que l’homme. Voyez le récit de Marthe et Marie. Marie, affirme le Christ, “a choisi la bonne part”, quand elle écoute Jésus; donc quand elle prend place aux côtés des disciples masculins, au contraire de sa soeur! 

D’ailleurs, beaucoup de femmes croyantes vont jouer un rôle actif dans la diffusion de l’évangile, au temps de la première Eglise. Il y aura bien des disciples de sexe féminin, il y aura même des apôtres. Et Marie-Madeleine, on le sait maintenant, aura une place prépondérante parmi les fondateurs du christianisme. Hélas, cette révolution va progressivement s’estomper, nous verrons pourquoi.

c) Parlons maintenant de l’apôtre Paul. C’est lui qui a écrit, dans la lettre aux Galates “il n’y a plus de différence entre juif et païen, entre esclave et homme libre, entre homme et femme.”. Mais c’est lui aussi qui demande que les dames se taisent lors des assemblées et des cultes, dans une lettre aux Corinthiens. Paul n’est donc pas misogyne. Mais la société de son temps a de la peine à accepter l’enseignement de Jésus et l’égalité entre les sexes qu’il prêchait. Paul va donc raboter une partie des innovations du Christ.

Il le fait avant tout pour le bon fonctionnement des assemblées chrétiennes. En effet, les femmes de Corinthe vivent dans une communauté très indisciplinée, un peu anarchique, où les célébrations partent dans tous les sens. Des gens par exemple vont jusqu’à se saouler pendant la communion! Il faut savoir aussi qu’il y a une particularité à Corinthe: les femmes sont tenues à l’écart de l’instruction religieuse, car on dit que c’est aux maris de s’en charger. 

Dans ce contexte, les femmes pendant le culte posent plein de questions, suscitent des débats, et tout ça accentue encore le désordre. C’est pour cela que Paul leur demande de rester plus discrètes, et de garder leurs questions pour la maison. C’est donc une injonction qui ne vaut que pour ce contexte particulier, elle n’est pas du tout pertinente pour aujourd’hui!

Un dernier mot sur Paul: il a institué des femmes comme chef d’Eglise. Oui, des femmes sont même évêques, au premier siècle! Vous voyez que l’apôtre des païens n’est pas le “macho” qu’on croit souvent.

Mais le monde, à l’époque, ne fonctionne pas du tout selon le message de Jésus.  Les sociétés humaines ne sont de loin pas prêtes à vivre l’égalité qu’il prône. Et l’Eglise de la fin du 1er siècle pas davantage que les autres, hélas. Ce qui fait que, plus on s’éloigne du temps du Christ, et plus les femmes sont à nouveau considérées comme inférieures; plus elles redeviennent soumises à l’homme, et cantonnées à la maison.


d) Avançons encore dans le temps. Tout le monde connaît le fameux “Femmes soyez soumises à vos maris” de la lettre aux Ephésiens. Cette épître n’a pas été écrite par Paul, mais par un de ses disciples, plus tardif. La lettre aux Ephésiens édulcore encore davantage le message de Jésus à ce sujet, puisqu’elle différencie les rôles de l’homme et de la femme. Pourtant, lisez ce passage attentivement! Il dit: “Chrétiens, soumettez-vous les uns aux autres, à cause du respect que vous avez pour le Christ. Femmes, soyez soumises à vos maris comme vous l’êtes au Seigneur. (...) Mais maris, aimez vos femmes, de la même façon que Jésus a aimé l’Eglise et a donné sa vie pour elle” (Eph. 5, 21-25). 

Il est donc demandé au mari d’aimer son épouse, ce qui n’était pas du tout fréquent en ce temps-là! Et puis, d’être prêt à donner sa vie pour elle!! Aïe! On est encore loin quand même de la femme inférieure, esclave de son mari. Et il serait bon sans doute de se demander pourquoi on a si bien mémorisé ce que l’épître demande aux femmes, et pourquoi on a si mal retenu ce qu’elle enjoint aux maris!

e) Malheureusement, certaines lettres de la fin du 1er siècle reviennent encore plus en arrière, les femmes sont replacées tout en bas de la hiérarchie, sans nuances. Hélas!

😐 😢 😢

On voit donc que la Bible dit des choses très variées sur notre sujet. Il me semble que la position de Jésus est une oasis bienfaisante au milieu d’un désert - je veux dire: au milieu de la société de l’époque, dont le machisme reprendra le dessus en moins de cent ans. La Bible est loin d’être misogyne, mais la société où elle a été rédigée l’est bien davantage!

Et voilà que notre thème nous pose ainsi de bonnes questions pour aujourd’hui: lorsque les valeurs de Dieu contredisent celles de notre temps, eh bien est-ce que nous osons dessiner des oasis? ou bien tentons-nous de nous fondre dans le désert? Face au matérialisme; face au mépris du spirituel; à la langue de bois préférée à la sincérité; face à l’individualisme qui éclipse la solidarité... est-ce que nous osons vivre selon l’évangile quand il conteste notre époque? Je vous laisse y réfléchir. Amen

Jean-Jacques Corbaz



- Entièrement couverte sauf les yeux... Mais quelle culture machiste, cruelle et dominatrice!
- Toute nue sauf les yeux... Mais quelle culture machiste, cruelle et dominatrice!




mardi 31 octobre 2023

(Bi, Re, FA) Halloween, est-ce le diable?

 

Je partage ces lignes de Carolina Costa, merci à elle:

 

Si tu es chrétienne ou chrétien, tu ne fêteras pas Halloween sous peine de laisser entrer le diable chez toi !!!

 

C’est un peu le résumé des images et des publications que je vois passer sur les réseaux sociaux depuis quelques jours, avec étonnement, je dois le dire.

 

Oui, car si je devais appeler au boycott de Halloween, ce ne serait pas d’abord pour des questions religieuses ou spirituelles mais plutôt pour son excès commercial !

 

En effet, qui fêtait Halloween en France, en Suisse ou en Belgique, il y a encore 10 ans ?

 

Personnellement, cette fête a débarqué chez moi à travers mes enfants il y a quelques années, oui je l’avoue aussi, à mon grand désespoir.

 

Je ne comprenais pas pourquoi on devait soudain intégrer cette fête « américanisée à outrance » et sincèrement, j’ai vraiment essayé de résister au début.

 

Mais avec le temps, croyez-moi c’est un peu comme essayer de résister au Père Noël en période de Noël !

 

Certaines écoles préparent même des bricolages pour Halloween, les enfants se réjouissent et en parlent tous azimuts…

 

Et ils sont bien aidés évidemment, car dès qu’on va faire des courses au supermarché, tout y est !

 

La semaine dernière par exemple, je me suis rendue dans un magasin de décoration et ce n’était pas moins de quatre allées dédiées à cette fête !

 

Déguisements de fantômes, sorcières et autres morts vivants, mais aussi une quantité astronomique d’accessoires, de déco et bien entendu de bonbons !

 

Difficile de résister….

 

Je me suis finalement vue acheter moi-même une tête de mort… pour le catéchisme et je vous explique pourquoi.

 

D’abord, parce que, oui malheureusement, ayant deux enfants moi-même, comment résister à « TOUTES mes copines vont sonner chez les voisins pour les bonbons ! »

 

Ou encore à « Elles sont TOUTES déguisées moi aussi !!! ».

 

Ben oui, c’est une fête avant tout et les enfants ont envie de s’amuser et ils s’amusent, croyez-en leurs grands sourires derrière leurs visages maquillés !

 

N’avons-nous pas nous aussi cruellement besoin de rire et de nous amuser en ce moment, pour oublier un peu le climat anxiogène ?

 

Justement ! Halloween c’est déjà anxiogène, alors on ne va pas en rajouter !!!

 

Oui certes…mais justement parce que nous sommes des êtres doués d’intelligence, allons voir de plus près de quoi il s’agit exactement.

 

Halloween tire son origine dans une célébration païenne avant notre ère, autrement dit, sans rapport avec la religion chrétienne, mais ça, on s’en doutait déjà ;)

 

La population des Celtes, installés dans l’Europe actuelle, célébrait, trois jours durant, entre fin octobre et début novembre, la fin des récoltes et le passage à leur nouvelle année.

 

La fête s'appelait alors « Samaïn » dont le nom signifie littéralement « la chute du soleil » évoquant les nuits qui se rallongeaient et le froid de l’hiver qui s’installait.

 

« C'était à la fois une période de réjouissances car les greniers étaient pleins mais aussi un moment de frayeur.

 

En effet, les Celtes pensaient que les esprits des fruits et légumes récoltés se mêlaient aux fantômes des morts, qui venaient jouer des mauvais tours aux vivants.

 

Afin de tromper les esprits et passer à leurs yeux pour des fantômes, les druides - prêtres de la religion celtique - portaient de longues robes blanches, allumaient de grands feux et organisaient des cérémonies rituelles.

 

Pendant ce temps, les villageoises et villageois dansaient, maquillés, déguisés.

Ils portaient des lanternes faites avec des navets, sans oublier de laisser des offrandes à leur porte pour apaiser les âmes errantes, on ne sait jamais… » (Infos RTS)

 

Maintenant, on comprend mieux les citrouilles et autres légumes de saison décorées et illuminées pour l’occasion !

 

N’est-ce pas intéressant de découvrir que l’intention de cette fête était précisément de chasser les esprits mauvais, malveillants et de mort pour… préserver la vie ?

 

Lorsque les enfants jouent à se déguiser et à se faire peur, n’est-ce pas une manière d’apprivoiser ces terribles « images » pour les démystifier justement ?

 

Ah mais oui, j’allais oublier de dire et de rappeler que je ne crois pas au diable comme une entité ou comme une personne qui viendrait prendre possession de nous.

 

Et non, je ne suis pas superstitieuse…

 

Je suis croyante en un Dieu plus délicat, plus doux, plus subtil.

 

Alors, la fête de Halloween n’est à mon sens pas dangereuse en tant que telle, si elle reste bon enfant bien sûr !

 

Comme toujours, si on va dans l’excès, cela peut comporter des risques évidemment.

 

Alors est-ce que mes enfants vont tomber dans les mains du diable ? Non.

 

Par contre ce qui est sûr, c’est qu’elles vont tomber dans l’excès de bonbons ce qui m’inquiète bien plus.

 

Et je compte sur les parents et adultes responsables pour ne pas confronter les petits enfants à de trop grands monstres sans quoi les nuits seront longues en cauchemar !!! Oui.

 

A ce stade, je peux encore essayer d’ignorer l’événement, mais vous l’avez compris, c’est quasiment impossible.

 

Alors, je choisis de m’en servir autrement en bonne alchimiste.

 

Comme je vous le disais au début, j’ai donc craqué et j’ai acheté un crâne de mort pour le catéchisme car ce midi j’ai justement une séance d’enfants.

 

Cet objet me servira d’occasion pour parler de l’origine de cette fête de Halloween, de nos peurs et de la mort mais pas seulement…

 

Car demain, c’est surtout le 31 octobre, date de la réformation protestante !

 

Date à laquelle, en 1517, le réformateur allemand Martin Luther aurait affiché ses 95 thèses sur la porte de l’Eglise de Wittenberg, pour inviter l’Eglise à se réformer…

 

Et à sortir justement de l’idée que les croyants seraient condamnés à l’enfer ou au paradis avec ces vilains monstres et autres démons qui nous font si peur !

 

Démystifier pour entrer dans l’expérience de la grâce de Dieu !

 

Et c’est évidemment surtout de cela, dont je parlerais cette semaine et c’est sans doute ce que je regrette le plus avec cet Halloween au milieu ;)

 

Mais encore une fois, ne sommes-nous pas invités comme le Christ à parcourir le monde pour entrer en contact avec nos contemporains là où ils sont ?

 

Sans jugement mais avec un profond désir de partager la bonne nouvelle, l’Evangile ?

 

Proclamer que Dieu existe, qu’Il nous aime infiniment par pure grâce et qu’il veut nous rappeler de ne pas avoir peur.

 

Car rien ne pourra jamais nous séparer de Son amour, pas même la mort  et ça c’est plus fort que Halloween !   Amen

 

Carolina


lundi 30 octobre 2023

(Po, Li) Passage du Poète - pardon Ramuz!


Dans nos espaces
Qui passent,
Qui lassent,
Dans nos espaces gris
Est passé Jésus Christ.

Dans nos villages,
Dans nos cités sans âge,
Dans nos blocs, dans nos cages
Dans nos villages aigris
Est passé Jésus Christ.

Et dans nos espérances,
Qui dansent, immenses,
Inquiètes de l’absence,
Et dans nos espérances appelant son retour,
Il était là, depuis toujours.

Et Jésus Christ, le frère,
Notre avenir offert,
Notre prénom, ouvert,
Et Jésus Christ illuminait la terre.  


Et nous tendions les mains, à la fois souhaitant et craignant d’être éclairés.


Jean-Jacques Corbaz, mars 1981   



(Po) Ulysse (chanson)

 

(parlé):
Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage,
Et qui, venant de Suisse, a su faire naufrage
Au fond d’un bistrot bleu où dorment quelques hommes,
Le rêve au fond des yeux, le cerveau plein d’opium.

Refrain:
Ulysse, beau voyageur, tu es l’enfant fou de la tempête,
Ulysse, dans ta candeur, tu croyais ne voir qu’avec la tête,
Ulysse, vieux bourlingueur, on ne voit bien qu’avec le coeur.

1.
Tu es parti sans un mot, poursuivant ton bateau, oh, oh,
Tu es parti le coeur chaud, espérant un monde nouveau,
À cent à l’heure en moto, en avion et jusqu’au fond de l’eau,
Tu défiais les oiseaux, les anges et les chevaux.    - R

2.
Tu as fumé tes repas, mendié ton tabac, ah, ah
Tu as fumé je n’sais quoi, toi tu ne le sais même pas…
Tu as plané quelques fois, mais souvent tu as volé bien bas,
Et tu reviens dans nos bras, drogué de l’au-delà.    - R

3.
Tu as claqué ton cerveau, là au fond des tripots, oh, oh,
Tu as grillé ton cerveau, la vie ne fait pas de cadeau,
Les yeux couverts d’un bandeau, aveuglé pour toujours, le coeur gros,
Tu reviens mal dans ta peau, sans crier, sans un mot.    
Refrain final:
Ulysse, beau voyageur, enfant des larmes et de la tempête,
Ulysse, le coeur en fleur, tu reviens, tout est prêt pour la fête,
Ulysse, noire blancheur, tu ne vois plus… qu’avec le coeur.

Jean-Jacques Corbaz, juillet 1982. Merci à Joaquin Du Bellay!  

 




lundi 9 octobre 2023

(Pr) Ni juif ni grec - Le baptême: une étiquette?

 

Prédication des 8 et 9 octobre 2023

Lectures bibliques: Galates 3, 26-29; Jean 3, 16-17


Tante Julia, après une vie exemplaire et bien remplie, avait quitté ce bas-monde pour celui qu’on dit meilleur. Arrivée à la porte du ciel, elle est accueillie par saint Pierre, dans la plus pure tradition.

«Chère Madame, lui dit-il, vous avez le droit d’entrer au paradis. Venez, je vais vous indiquer votre chambre.»

Mais tante Julia, qui est plutôt curieuse de nature, l’arrête: «Je m’excuse! Est-ce qu’auparavant, je pourrais voir comment ça se passe en enfer, et aussi au purgatoire?»

Mais oui, pas de problème. En enfer, d’abord, elle est relativement «déçue en bien». C’est un peu comme sur la terre, il y a beaucoup de gens qui discutent, qui s’amusent. Certains même dansent, car il y a un orchestre qui joue pas mal du tout.

Elle passe ensuite au purgatoire: c’est à peine différent. Peut-être la musique est-elle un petit peu meilleure, l’ambiance plus décontractée, et la vue plus belle. Peut-être aussi y a-t-il un peu moins de monde…

Quand elle arrive en vue du paradis, tante Julia pétille de curiosité, vous imaginez! Mais à sa grande surprise, à la porte, elle n’entend pas de musique. Alors elle pose la question à saint Pierre: «Comment ça se fait? Vous n’avez pas d’orchestre?»

«Oh, répond l’apôtre, vous savez, ça ne vaut pas la peine de payer des musiciens, pour 3 ou 4 personnes seulement!»
 


Voilà le genre d’histoire qui aide à comprendre ce que c’est que le paradis. Mais à condition de le prendre exactement à l’envers! Ce serait moins drôle pour la plaisanterie, mais ce serait beaucoup plus conforme à la Bible si c’était l’enfer qui était désert!

Car que dit le Nouveau Testament? Tous, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a plus de différence entre homme et femme, entre esclave et patron, entre juifs et païens. Toutes et tous, vous recevez les promesses de Dieu, vous êtes promis au paradis! En étant baptisés, vous avez toutes et tous accédé à la condition nouvelle, dans le coeur du Christ. Le baptême efface les différences entre croyants. Il fait de nous un seul peuple, les membres d’une même famille.
 


 
Il y avait chez les Galates une Eglise, c’est-à-dire une communauté de chrétiens. C’était un groupe très vivant, qui avait été fondé par l’apôtre Paul quelques années auparavant. 

Mais voilà qu’arrivent en Galatie des croyants juifs qui ont d’autres théories que les chrétiens. Pour ces croyants juifs, il est nécessaire de continuer d’observer les lois de l’Ancien Testament, avec notamment l’interdiction de travailler le jour du sabbat, ainsi que la circoncision et le respect absolu de la pureté.

Le discours de ces gens est simple: vous n’êtes pas encore des croyants véritables. Paul vous a fait franchir une étape en vous convertissant de vos religions païennes; mais vous devez encore obéir à d’autres règles, ci et ça, pour être des croyants de première catégorie, des vrais!

Malheureusement, l’Eglise des Galates a écouté ces gens, et a cherché les per-fectionnements qu’ils proposaient. À la grande colère de Paul quand il l’apprend, bien sûr! Il leur remonte sèchement les bretelles dans sa lettre. Et il leur rappelle, notamment dans le passage que nous avons lu tout-à-l’heure, il leur rappelle qu’il n’y a pas de chrétiens de deuxième zone. Par le Christ, il n’y a plus de différence entre homme et femme, entre esclave et patron, entre juif et palestinien du Hamas. Toutes et tous, vous recevez les promesses de Dieu! Le baptême efface les différences entre croyants. 

 

 

Mais attention! En voulant fuir cette erreur de croire qu’il y a des niveaux différents dans la foi, et que Dieu nous punirait plus ou moins à notre mort, on pourrait tomber dans l’autre extrême, une erreur tout aussi répandue: penser que c’est l’acte du baptême qui nous sauve, comme ça, magiquement! Parce qu’on serait, comme Obélix, tombés dedans quand on était petit! Le baptême n’est pas une potion miraculeuse qui permettrait à quelqu’un d’être sauvé à partir du jour de son baptême, alors que la veille il ne l’aurait pas été!

Car qu’est-ce qui sauve? C’est l’amour de Dieu et son pardon pour toutes et tous, encore une fois. Et l’indice, je dirai même la preuve de cet amour et de ce pardon, c’est la mort de Jésus sur la croix. Le baptême n’est qu’un signe de ce salut, et non le salut lui-même. De même qu’une carte de géographie représente une région, mais ce n’est pas la région elle-même. Si je brûle un plan de Paris, je ne brûle pas la ville, bien sûr!

Dieu aime et sauve les personnes qui ne sont pas baptisées tout autant que les autres. Le baptême est un signe que nous sommes unis au Christ, et aussi par conséquent unis les uns aux autres. Il est le rappel de cet immense amour de Dieu qui efface le péché, qui nettoie, qui nous purifie de tout ce qui pourrait nous séparer du Christ.

Le péché d’ailleurs, à mon sens, le péché c’est uniquement douter que Dieu soit bon, ne pas croire qu’il nous sauve toutes et tous dans son amour passionné.
 

 

Mais crac, débol! Il est arrivé au baptême exactement ce que j’ai fait subir à mon anecdote au début de cette prédication. Petit à petit, le baptême a glissé, a changé complètement de sens. Il n’est plus resté le signe de ce pardon qui nous unit, le geste sacré qui veut lutter contre les particularismes, contre les différences et les étiquettes; au contraire, on a fait du baptême une étiquette de plus! Et un acte qui nous place dans des catégories bien précises: vous êtes un couple mixte? Donc l’enfant que vous avez reçu, vous allez le baptiser protestant ou catholique? Ou dans une Eglise évangélique, par immersion?

Voilà le paradoxe de notre époque, où l’être humain a séparé ce que Dieu avait uni. Je veux dire: nous avons fait du signe de l’unité un acte qui divise! Du geste qui conteste les étiquettes, on a fait une étiquette supplémentaire!

Il y a quelques années, en Irlande, (vous connaissez les tensions là-bas entre les confessions chrétiennes), on demandait à un inconnu: «Est-ce que vous êtes catholique ou protestant?» L’homme répondit: «Je suis incroyant.» Les Irlandais répliquèrent: «Oui, mais incroyant catholique ou protestant?»
  


 
Je souhaite que cette lettre aux Galates, aujourd’hui, nous aide à mieux nous laisser unir au Christ, à mieux nous laisser revêtir le Christ; et cela avec une foi qui ne soit pas étiquette, mais authentique. Avec une foi vraie, qui conteste les différences et les a priori, qui unisse et qui rassemble. Et qui envoie, en communauté, plus loin, porter le reflet de cette fraternité.

Ne nous laissons pas enfermer dans des lois, dans celles de l’Ancien Testament ou dans celles d’aujourd’hui, mais laissons-nous dynamiser par l’Esprit de Dieu, porter par son souffle. Dans une foi, dans un baptême qui lavent les différences et les préjugés pour être véritablement agissants, concrètement.
 

C’est Hervé Bazin qui a eu ces mots un peu cruels et grinçants: «L’homme est porté à croire. Il lui faut sécréter de la certitude, comme le colimaçon de la coquille. Pour s’enfermer dedans.»

Je vous laisse digérer cette phrase piquante: «L’homme est porté à croire. Il lui faut sécréter de la certitude, comme le colimaçon de la coquille. Pour s’enfermer dedans.»

Puissions-nous trouver dans la foi au Christ non pas une certitude du genre coquille ou carapace, qui enferme, mais une colonne vertébrale, qui nous aide à vivre debout! 

Amen

Jean-Jacques Corbaz  



(Po, Li) Laissez-vous entraîner par la rivière

Laissez-vous saluer par la rivière
Je ne parle pas de la rivière molle, hawaïenne béatitude presque immobile
Je ne parle pas de la rivière Kwaï, guerrière acharnée sur ses cailloux
Je ne parle pas de la rivière qui arrive, je parle de la rivière qui part.

Laissez-vous emmener par la rivière
Je ne parle pas de la rivière qui endort, à force de bercer
Je ne parle pas de la rivière qui donne mal au coeur, à force de balancer
Je parle de la rivière qui vous précède, qui donne envie d’aller plus loin.

Laissez-vous étonner par la rivière
La rivière douce et folle, amoureuse d’un lac, qu’elle rejoindra demain
La rivière qui se met en route avant de savoir où aller
La rivière qui donne la vie, la renouvelle et la colore

Amis de mes villages, ou d’un là-bas perdu
Allons, elle nous emmène
C’est sa prière
Laissez-vous entraîner par la rivière

Jean-Jacques Corbaz, mai 1978