Narration des 11 et 24 septembre 2023, 1 Rois 19 «La souris, le souffle fragile et le prophète»
Lectures: 1 Corinthiens 1, 22-25; Luc 9, 46-48
Couché par terre dans un coin du désert, Elie pleure, inconsolable. Il ne sent plus la faim, il ne sent plus la soif, il ne sent plus le chaud ou le froid. Elie ne sent même plus le goût des larmes qui lui coulent autour de la bouche. Larmes amères, larmes de colère, de peur, d’impuissance. Larmes de déception. De déception triste.
Elie pleure dans sa barbe. Pourtant, on lui avait toujours dit «un homme, ça ne pleure pas». Ben c’est pas vrai. Elie pleure, et ça dure longtemps.
- «Dis, pourquoi t’es tout triste?» fait une petite voix. «Pourquoi tu pleures?»
Elie a envie de garder les yeux fermés, tellement il a plein de nuages noirs dans sa tête. Mais la curiosité est plus forte que son chagrin. Il ouvre un oeil et voit, à côté de lui, par terre, une... oui, une souris. Toute petite!
- «Continue de pleurer, dit la voix aiguë, tu arroses mon petit arbre; il n’a jamais d’eau, dans ce désert.»
Elie a presque envie de sourire. Il soupire.
- «Alors, fait la souris, tu veux me raconter?»
- «OK, dit l’homme. Tu sais, souris, je suis un prophète. Un vrai! Un prophète, c’est quelqu’un que Dieu envoie dire des choses importantes. Mais Dieu, dans mon pays, en Israël, il avait été oublié. Le roi s’était mis à adorer des idoles. Et bien sûr le peuple avait suivi.
«Alors, Dieu m’a envoyé devant Achab, le roi, lui dire qu’il ne tolère plus ces religions païennes, que Dieu est bien plus fort que Ba’al, son idole. Pour le prouver, il allait nous envoyer une sécheresse épouvantable. La famine!
«Et c’est bien ce qui est arrivé. J’attendais que le roi se mette en colère. Ou qu’il négocie. Ou qu’il prie. Mais non. Il n’a rien dit. Rien.
«Et alors, c’est Dieu qui m’a parlé. Il m’a envoyé me cacher, dans un ravin, près d’un ruisseau. Comme si Dieu lui-même était condamné à se cacher! Et chaque jour, souris, écoute bien, c’est incroyable: malgré la sécheresse, oui, chaque jour des corbeaux m’apportaient à manger. Du pain et de la viande. Et j’avais l’eau du ruisseau pour boire et me laver.»
- «Mais alors, fait la souris, pourquoi es-tu parti de ce ravin?»
- «Hélas, reprend Elie, le ruisseau s’est tari. Plus d’eau! J’ai bien dû m’en aller.»
- «Mais, Dieu a continué de s’occuper de toi?»
- «Mmhh, presque, fait Elie. Il m’a envoyé à l’étranger, loin de tout. Et j’étais inquiet, bien sûr. Est-ce que Dieu pourrait me suivre, en-dehors d’Israël? Est-ce que Dieu pourrait me protéger, à l’étranger?»
- «Et alors?» insiste la souris.
- «Alors, j’ai rencontré une femme. Elle n’avait plus qu’une poignée de farine à donner à son fils, pour le nourrir. Ensuite, elle n’aurait plus rien du tout. Elle a fait des galettes. Et sais-tu, c’est incroyable: chaque soir, il ne restait qu’une pincée de farine et quelques gouttes d’huile; et chaque matin, Dieu a redonné farine et huile, jusqu’à ce que la pluie revienne!»
- «Et après, fait la souris, qu’est-il arrivé?»
- «Eh bien, un jour, le garçon est tombé malade. Très malade. Et... et il est mort. Mais je l’aimais, ce garçon, je l’aimais tellement que j’ai crié vers Dieu, j’ai crié ma révolte, et j’ai pris l’enfant dans mes bras... et il était tout froid... et soudain, tout-à-coup, il s’est mis à bouger, il s’est relevé, il était guéri! Tu comprends, souris, Dieu a montré qu’il était un Dieu de vie! Un Dieu qui aime les petits, les faibles, les fragiles.»
- «Oh, dit la souris. Et avec un Dieu comme ça, tu pleures quand même?! Il n’est plus là? ...Tu ne l’as pas quitté, au moins?»
- «Quitté... Pas vraiment... Mais peut-être un peu quand même. Ecoute, souris: Dieu m’a dit alors de repartir, d’aller promettre à Israël la fin de la famine! La pluie! Un message de joie, et d’espoir! Et moi, j’ai obéi. Mais, euh... pas tout à fait. J’ai provoqué les prophètes païens, les prophètes de Ba’al. Leurs dieux n’ont pas réussi à allumer leur sacrifice, mais mon Dieu, lui, il a réussi!! Mon sacrifice s’est allumé par le feu, tombé du ciel, le feu géant! J’ai gagné!
- «Et... ça n’a pas marché», fait la souris.
- «Ben non. À peine rentré à Jérusalem, crac! J’apprends que la reine Jézabel est furax que j’aie massacré ses prophètes. Elle veut me tuer pour se venger, elle était la plus fidèle au culte des Ba’als. Elle a juré ma mort. Et c’est pourquoi je suis reparti, vite, la peur au ventre, sans bagages, sans rien. Je suis arrivé dans ce désert. Et j’en ai marre. Mais marre!»
- «Qu’est-ce que tu vas faire?» demande la souris.
- «Je ne sais pas. Vraiment pas. La vie est moche. Je n’ai plus envie de rien, je n’ai plus envie de vivre.» ...
- «Elie! Tiens! Bois et mange!»
Qui a parlé? Elie se retourne et voit un vieux bédouin, qui lui tend de l’eau et du pain. La souris a disparu. «Tiens! Bois et mange!»
Mais tout en mâchouillant sa tristesse, il sent que quelque chose lui chatouille la moustache.
- «Qu’est-ce que tu vas faire?» redit une petite voix.
La souris était donc toujours là!
- «Eh bien, je ne sais pas... La vie est moche. Je ne sais vraiment pas.»
- «Elie! Tiens! Bois et mange!»
Elie se retourne, et il revoit le vieux bédouin, qui lui tend encore une fois de l’eau et du pain. La souris a disparu. «Tiens! Bois et mange!»
Elie obéit, et il sent le courage lui revenir. «Merci, mon brave!» - Mais le bédouin est de nouveau invisible. Alors Elie se remet debout, il marche, il marche, comme si une force inconnue le dirigeait. Il marche pendant des jours et des jours, jusqu’à ce qu’il arrive au pied d’une énorme montagne: le Sinaï, la montagne de Dieu! L’endroit où, au tout début, le Seigneur avait donné les commandements à Moïse et au peuple d’Israël. Le Sinaï, la montagne des commencements!
Mais Elie est fatigué. Il se couche dans une caverne, comme dans un ventre maternel. Et s’endort.
Et le matin, une voix! Une voix connue, familière; celle qui l’avait envoyé vers le roi, les deux fois; la voix... de Dieu!?
- «Sors de la caverne, Elie. Je vais passer devant toi!»
Elie alors entend un vent violent se lever. Une tempête, qui secoue la montagne, et fait hurler les rochers. Est-ce que c’est Dieu, tu crois? Non, Dieu n’est pas dans le vent, et la tempête déchaînés. ...
Ensuite, Elie sent un puissant tremblement de terre, qui fracasse les rocs et les pierres, qui ébranle l’univers. Est-ce que c’est Dieu, tu crois? Non, Dieu n’est pas dans le tremblement de terre. ...
Et puis, Elie voit un feu, un feu éblouissant qui a l’air de dévorer toute la montagne. Des cailloux sautent comme du pop-corn. Est-ce que c’est Dieu, tu crois? Non, Dieu n’est pas dans le feu. ...
Alors, Elie entend un profond silence. Mais un silence habité, vivant, comme quand on a murmuré «je t’aime». Comme un souffle fragile, infiniment léger. Un frémissement.
Elie alors comprend. Dieu est là. Le prophète se cache le visage avec un voile, et, enfin, sort de la grotte, sort de son cocon. Le Dieu des petits. Oui, le protecteur des fragiles. Il se donne, lui aussi, dans un souffle, sans puissance, sans gloire, sans sécurité. ...
Il faut traverser le désert, et encore le traverser, pour comprendre ce Dieu-là. C’est une longue marche, jusqu’à nous accepter nous-mêmes, comme nous sommes. Il n’est pas un Dieu fort qui viendrait résoudre les problèmes à notre place, encore moins qui punirait les méchants; mais il est un Dieu qui accompagne, dans la faiblesse et les questions, qui accompagne, dans l’espérance! ...
Elie peut alors repartir. Seul; mais il sent très bien qu’il n’est pas seul. Aucun problème n’est résolu, bien sûr! Mais Elie sait qu’un Dieu fantastiquement proche marche avec lui, pour l’aider à rester debout dans les difficultés. Dans la faiblesse, un Dieu de tendresse, infinie. Un Dieu de vie. Amen
Jean-Jacques Corbaz
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