… Alors Almitra le regarda doucement. Si doucement qu’elle en devint une prière.
D’abord il ne dit rien. Le vent de la mer faisait hésiter les cheveux des femmes, et des vagues confiantes se balançaient avec bruit sur le rivage. Il la regarda, puis ses yeux restèrent fixés au même endroit, rivés sur le vide.
C’était le moment de partir.
La quête soumise d’Almitra continuait, insistante malgré son humilité. Il regarda l’intérieur de lui-même, et murmura, mais chacun l’entendit:
«Nous avons tous nos blessures. Je ne vous dis pas ‘Heureux qui n’a pas de blessure’ ou ‘Heureux qui peut refermer ses blessures’. Nos marques sortent de nous, et notre corps sait pleurer, même si les pleurs semblent inutiles. Nos cicatrices sortent de nous, et c’est pourquoi elles nous sont chères.
Nous avons tous nos blessures. Heureux celui que son mal fait grandir. L’amour passe, le désir passe, la confiance reste. Heureux celui dont la confiance n’est pas déplacée. Votre confiance est un rocher sur la plage douce de vos amours. Quand vient la marée, le rocher peut vous sauver la vie.»
Un oiseau passa en criant dans le ciel, se hâtant vers le couchant. Almitra le voyait, et c’était comme une larme à ses paupières. Un prophète est un homme, et pas un dieu.
- Parlez-nous du vide qui est en nous, lorsque notre confiance est déçue.
«Il n’existe pas de vide en nous. Notre vide est toujours plein de reproches. Heureux celui dont les reproches s’adressent à lui-même, et l’aident à continuer. Heureux celui qui ne sait pas comment continuer: il trouvera un des mille chemins dans ce vide qui résonne si fort.
Une parole, dans une crypte déserte, rejaillit de rocher en rocher, de voûte en bloc de pierre, et remplit vos oreilles. Quand la tristesse semble avoir tout sucé de vie en nous, quand le peuple des rêves à demi fous s’est évanoui en poussières, nous pouvons nous rencontrer nous-même. Heureux celui qui dans la tristesse immense découvre les mille sentiers perdus de ses dépassements possibles.
Nous pouvons courir d’impasse en impasse, et toujours nous prolonger. Telle est une blessure aimée. Le génie naîtra de vos blessures. Mais celles-ci vous seront toujours données.»
Jean-Jacques Corbaz, 21 novembre 1978
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