Ce fleuve nommé Broye
Charrie entre ses bras
Des montagnes de soie
Où l’on est toujours en-deçà.
Et ces quintaux de brume
Ourlent la terre brune
Comme un collier de plumes
Qui voudraient effacer la lune.
D’où viennent ces nuages bas
Que tant de soirs exhument?
On dirait un géant qui fume
Tous nos champs de tabac.
D’où viennent l’angoisse et le froid,
Et ces sombres rancunes
Qui braisent, sournoises, une à une
- Où pourtant vit la foi?
Ne me demandez pas pourquoi
Le prophète se tait, c’est par crainte, je crois,
Qu’on l’attende dans la Broye
Comme le loup au fond des bois.
Car ce fleuve bien nommé broie
Du noir, du blanc, mauve ou grenat,
Mélangés dans son brou de noix,
Et sans faveur aucune,
Dans sa pâleur commune,
La misère du pauvre et celle du roi,
Celle qu’on traîne et celle qu’on parfume,
Celle qu’on cache et celle qu’on assume.
- Et puis, ce fardeau sur les bras,
Comme une croix,
Sans un refus, sans un pourquoi,
En Mer du Nord l’emportera.
Alors, ce fleuve nommé Broye,
Je sais qu’il s’ouvrira
À la fête, à la joie:
Le Christ y est venu, déjà.
Jean-Jacques Corbaz, novembre 1982
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