"La lettre aux Ephésiens (2°): sacrée purée de (châtaignes) pois!"
Ephésiens 1: 17-23; Ephésiens 2: 7-10; Ephésiens 5: 1-2; Jean 13: 1-5
Je disais, dimanche passé, que la lettre aux Ephésiens est terriblement rebutante au premier abord. J’en arrivais à penser qu’il faut être un peu inconscient, dans l’Eglise, pour donner une bible à nos jeunes catéchumènes ou à nos mariés, qui souvent n’ont pas beaucoup d’outils pour comprendre de tels passages dans leur contexte...
Ça nous pose la question: pourquoi Dieu nous parle-t-il de manière aussi obscure? Serait-il un brin sadique? Ou farceur? Est-ce qu’il se plairait à jouer à cache-cache?
Vous connaissez probablement quelques éléments de réponse à cette interrogation: s’il est impossible d’expliquer simplement la transcendance, cela tient d’abord au fait que Dieu nous dépasse d’une distance infinie! Face à lui, face à ses mystères, nous sommes plus désarmés qu’un homme des cavernes devant un ordinateur; nous sommes plus petits qu’une mouche face à un être humain.
Expliquer Dieu à une personne d’intelligence moyenne comme vous et moi, c’est aussi ardu que de sensibiliser une souris à la nécessité de la recherche médicale!
Mais je m’égare un peu. Et c’est d’ailleurs ce qui nous permettra de saisir un second élément de réponse à nos pourquoi. Et, du coup, de mieux réaliser comment fonctionne la lettre aux Ephésiens.
Car cette lettre n’est pas un traité méthodique, comme par exemple l’épître aux Romains. Elle n’est pas un écrit composé tranquillement dans un bureau et bien structuré. Non, c’est plutôt une prédication plus ou moins improvisée, à partir d’éléments bien connus. Un peu comme une improvisation en jazz, qui développe des thèmes précis, mais qui les agence, les oriente, les anime selon la fantaisie du moment.
L’auteur de la lettre aux Ephésiens, probablement un disciple de Paul, une ou deux générations après l’apôtre, improvise donc. C’est presque un pot-pourri des “best-sellers” de Paul, de ses versets les plus connus. Avec juste un point commun pour les accrocher l’un à l’autre, comme des wagons... ou comme la comptine de notre enfance: “J’en ai marre, marabout, bout de ficelle, selle de cheval...”.
Donc, l’obscurité de notre épître vient de la manière dont elle a été composée (soit, en termes savants, de son genre littéraire). C’est un pasteur qui prêche; et, comme tout pasteur, il a de la peine à garder le fil!
Et c’est ce qui explique, d’ailleurs, la tragique mésaventure du fameux verset que même les incroyants connaissent par coeur. Je veux parler de “Femmes, soyez soumises à vos maris”.
En effet, l’auteur de la lettre aux Ephésiens développe une longue réflexion sur l’Eglise. Dans ce mouvement, il reprend le thème de la réconciliation et de l’humilité nécessaires entre croyants (dont nous avons parlé dimanche passé). Et là, trait de génie, il dit: “Soumettez-vous les uns aux autres, à cause du Christ”.
Puis, pour faire comprendre le sens de cette soumission, il donne des exemples bien connus à l’époque: les femmes à leur mari; les esclaves à leur maître; les enfants à leurs parents... Ce ne sont pas des commandements qui seraient au centre de la réflexion; c’est un constat destiné à éclairer le sujet. Et le sujet, c’est toujours l’Eglise, et la soumission réciproque initiée par le Christ.
Savez-vous, entre parenthèses, que le mot Eglise revient neuf fois dans la lettre aux Ephésiens, et que sur ces neuf, six sont contenus dans le seul paragraphe sur les rapports entre femmes et maris?
Alors, avant de refermer la parenthèse, je vous en supplie, cessons de lire ces mots sur les épouses comme l’expression d’une volonté de Dieu, alors que ce ne sont que des comparaisons basées sur la vie de l’époque; des exemples dont le but est de faire comprendre un peu du mystère de l’Eglise, un peu du mystère de Dieu.
Bon. Lettre obscure... pot-pourri... mal ficelé... Vous me direz que tout cela ne vous avance pas beaucoup, pour mieux saisir ces relations mystérieuses entre Dieu et nous. Alors, écoutez bien: ce ne sont pas des maladresses, qui défigureraient le message. Non, c’est voulu!
Je veux dire: c’est la meilleure manière que Dieu puisse utiliser, pour se dire un peu à nos esprits limités. Car le Créateur majuscule ne peut pas être décrit dans une construction logique pour les humains. C’est impossible. Il nous échappera toujours, largement!
Alors, ce discours un peu fouillis nous parle, en lui-même. Il nous raconte une espèce d’histoire sur le mystère de Dieu. Ce mystère que personne ici-bas ne pourra percer clairement, mais que nous sommes appelés à approcher, toujours mieux. Mais humblement, modestement. Mais pas à pas.
Pour comprendre la transcendance de Dieu, nous sommes donc comme des marcheurs en montagne, qui tâtonnent dans un épais brouillard. Et parfois (merci!), la purée de pois se lève un peu, et on profite de vite faire le point, voir où on est, et où s’avancer; jouir de la vue... Mais déjà la grisaille revient, s’épaissit, et nous reprenons nos tâtonnements, juste éclairés par la brève embellie de tout-à-l’heure.
Puisque tout dans la lettre aux Ephésiens tourne autour de l’Eglise, corps du Christ, voyons ce que donne cette manière de raconter Dieu sur ce thème précis. L’épître développe plusieurs images (accrochez-vous, c’est étonnant).
D’abord, la lettre aux Ephésiens affirme que le Ressuscité est la tête de ce corps, et nous les membres.
Ensuite, on nous dit Dieu a tout mis sous les pieds du Christ. Tout, c’est-à-dire ce monde où nous vivons, et le monde à venir. Nous sommes donc à la fois dans le corps et sous ses pieds!
Mais ce n’est pas fini. À l’instar de l’évangile de Jean, que nous venons d’entendre, ou de la lettre aux Philippiens, notre épître nous dit que le Christ se place sous nos pieds, pour nous servir, comme le dernier des esclaves...
Essayez de vous représenter tout ça: bonne gymnastique! C’est impossible, en une seule image. Rien qu’avec cette métaphore du corps, il faut trois représentations différentes pour décrire les relations entre Christ et l’Eglise.
Et cette multiplicité est nécessaire pour ne pas trop simplifier, et caricaturer Dieu. Pour nous éviter de croire qu’une seule image pourrait refléter fidèlement les subtiles nuances du Créateur.
Trois images pour décrire Dieu, qui est “Trin”, soit Père, Fils et Saint-Esprit! Dieu, qui est à la fois la tête de l’Eglise; et en même temps dans son corps; et également, en Jésus abaissé, qui est sous ses pieds!
Et justement, dit l’épître, puisqu’il s’est mis sous nous: alors, mettons-nous sous les autres. Donc “sous-mettons”-nous aux autres!
C’est dans ce sens que la lettre aux Ephésiens ose dire ces deux mots effarants (et j’espère que vous avez sursauté en les entendant tout-à-l’heure); ces deux mots effarants: “Imitez Dieu”!
Donc non pas devenir parfaits, ou capables de tout connaître, ou de régner partout, non. Mais: comme Dieu s’est placé sous les pieds des hommes, par amour, pour les servir, alors vous aussi! Travaillez à créer avec les autres des relations qui s’inspirent de Lui, et qui s’accordent sur Lui.
Mais attention: ne faites pas de la soumission un ordre moral ou un absolu, bien entendu! La soumission sans amour, c’est une déviance, ça ne vaut pas un clou!
Vous voyez que rien n’est simple, et que le brouillard submerge souvent nos esprits limités.
Pourtant, avant de succomber au découragement, redisons-nous le plus souvent possible: il ne nous est pas demandé de décrypter les mystères de Dieu, et de tous les comprendre; il nous est demandé d’y progresser avec confiance, sachant que, même dans la purée de pois la plus épaisse, nous ne sommes jamais perdus.
Nous ne sommes jamais perdus parce que Dieu nous a sauvés, en Jésus; nous ne sommes jamais perdus parce que Dieu nous a trouvés, en Jésus, et qu’il nous conduit, mystérieusement, par son amour, au port où nous serons en pleine sécurité.
“Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu”, précise la lettre aux Ephésiens.
Au fond, cette épître nous invite, je crois, à penser à la vie et à Dieu comme notre promeneur en montagne qui, une fois rentré au chalet, revoit toute sa marche dans la “peuffe” et dit mystérieusement “merci” d’être arrivé sans accident.
On m’objectera que, dans la vie chrétienne, nous ne sommes pas encore au bout du chemin.
Mais pourtant, le Nouveau Testament nous assure que Jésus Christ a déjà remporté la victoire, pour nous; et que nous sommes en absolue sécurité. Déjà!
Encore un mystère, impossible à saisir! Bien sûr! Nous sommes à la fois en marche, et à la fois à l’abri de tout danger, dans la Maison du Père.
Pas besoin de tout comprendre. Juste de dire “merci” et... “amen”!
--> dimanche prochain, troisième épisode, pour approfondir la question du mystère: qui est Dieu, quel est son plan pour nous?
Jean-Jacques Corbaz
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