Le penseur à sa table se regarde les yeux fermés. Une vie qui se regarde, est-ce encore une vie? Le penseur à sa table médite dans le noir.
Le penseur à sa table arpente son domaine, qu’il voudrait conquérir, qu’il voudrait maîtriser. Le chemin qu’il parcourt va d’artère en déveine, et son coeur plein d’espoir aspire à la beauté.
Le penseur à sa table ignorera les craintes. Voit le monde alentours, les objets et les gens… Le penseur en pensant leur laisse son empreinte, multiples carreaux gris qui deviennent vivants.
La nuit, rien ne dort. Jamais la vie ne s’endort. Jamais le ciel ne prend la moindre vacance. La pensée à sa table est un vieux croque-mort qui embaume le jour de blonds et longs silences.
Le penseur à sa table voudrait couvrir le monde, mais le monde en pensée n’est qu’à peine vivant! Le penseur à sa table est à peine pensant: il voudrait exister, et se tue en pensant.
Le penseur se relit, et se trouve un peu grave. Revit ses joies, recrée ses peurs, ses buts, ses quêtes. Pour déjouer la mort se fabrique une fête, ébauche une musique -mais n’est pas plus vivant.
Le penseur à sa table s’imagine en poète. Il se rêve amusant, ou génie, ou enfant… Il aimerait renaître, et renaître espérant: il ne peut que penser, c’est son drame peut-être; et penseur ou pensé, il n’est que moitié d’être. Il n’est qu’à demi-mort ou à demi-vivant.
Jean-Jacques Corbaz, 9.12.1976
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